Samedi 30 janvier 2010 à 13:05

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Je ne suis tombé amoureux qu'une fois, une fois de toutes les femmes.

Il m'est difficile de respecter ces hommes, ou ces femmes qui pensent avoir été amoureux quand ils n'ont reçu en retour que des mots vulgaires ou au mieux, une partie de jambe en l'air. Ces relations froides, sexuelles, à distance ne sont pour moi que des simili-aventures. Ils aiment à s'en crever les yeux, quelqu'un qui ne leur rend rien, et pourtant ils croient sincèrement que le sentiment qui les obsède est celui qui unit les couples. Ils ne savent rien, vivent et apprécient cette douleur, ce renfrognement de leur être.

Je t'aime! Je t'aime toi qui ne sait rien, toi qui ne veut rien, toi qui ne voit rien. Tu me rejettes me bats me baises mais m'aimes sans le savoir, j'en suis persuadé. Tu es celui que ma vie nécessite, l'unique et l'absolu. Le père le frère que je n'ai jamais eu. Donne-moi peu, donne-moi rien, je serais pour toujours ton sol, celui qui te soutiendra et te fera vivre. Noie ta tristesse, brûle ton alcool, assouvis ta violence en moi. Je suis la réponse à ton absolution. Tes péchés sont les miens, mes mots sont les tiens, ces idées sont les nôtres. Que faire d'une union favorite? Vis comme tu veux vivre, au pied de chaque mur, de chaque montagne, en haut de chaque pic je t'attendrais. Je serais homme ou je serais femme car chacun de tes désirs est une tablette de loi.

Je suis tombé amoureux dans une salle de bal, je me suis échoué dans ma plénitude et dans ses sentiments. Elle dansait, dansait à m'en faire perdre la tête. La tenant par la main je la faisais tourner dans sa longue robe rouge. Nous nous regardions nous regarder. L'amour naissait non pas comme une promesse pleine d'illustres bonheurs et d'antiques souffrances mais comme un instant. L'amour ne vivait que pour cette danse, qu'entre nous. Les autres danseurs nous observaient comme envoutés, captivés de voir naitre un monstre. Ni son corps ni sa voix ni ses yeux importaient. Qui elle était véritablement était tout aussi inutile. Ses longs cheveux blonds ou brun ou gris, dans une robe verte ou rouge, jusqu'à son prénom, tout cela était sans importance. C'était un instant qui mourrait comme il était né, comme il avait vécu. C'était un amour sans nom et sans visage. L'existence même de cette femme est remis en cause. Je sais seulement qu'à cette seconde, je l'ai aimée, elle comme toute les autres qui dansent avec moi. C'était l'union d'une danse lointaine et éthérée sans musique. Nous dansions chez elle ou chez moi inlassables, sans même redouter la dernière note. La fameuse beauté résidait dans la fugacité, cet instant fou où le temps a su disparaitre, où la matière n'existait plus, où ne résidait que l'amour pur, entier, et fini. Je suis tombé amoureux d'une femme et je n'en ai rien su.

Jeudi 14 janvier 2010 à 22:08

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Le premier cri, pour saluer la vie ; le dernier cri, pour lui dire merci.

Chuter sous les applaudissements et les rires.

Et que hurlent dans un dernier râle, leur secret, les mourants.

Existe-t-elle seulement ma solution?

Jamais je ne me battrais, jamais.

Plus jamais.

Dimanche 10 janvier 2010 à 21:40

Je n'ai jamais été un homme, pas même l'ombre d'un homme. Je n'ai jamais eu le comportement, les pensées, les agissements d'un homme. Non seulement parce que trop souvent je suis maniéré tel un enfant ou une femme, mais surtout dans tous ces clichés qui constituent l'homme, qu'il soit moderne, moyen-âgeux, antique. Aucune action, pensée, ne fait de moi un membre à part entière de l'ethnie masculine si ce n'est un goût prononcé pour le sexe. Je n'ai ni courage, ni détermination, ni charisme.
Je suis une de ces poupées de chiffon, malléables, je suis l'infante qui aime sa tour d'ivoire.

Je n'ai jamais pris de photos de moi, car comme ces anciennes tribus indiennes, j'ai toujours eu peur qu'on vole mon âme, qu'on brule mon portrait, ou qu'on pleure dessus. Parfois je cède - trop souvent - par amour. Je vois le bonheur des couples, cette union, cette fusion sur les clichés. Ces mensonges véridiques, cette seconde trop éclairée où aujourd'hui plus rien ne subsiste.

Je n'ai jamais été capable d'écrire un roman, un livre digne de ce nom. J'en ai eu l'occasion à plusieurs moments de ma vie, mais plus maintenant. Les bons livres comme les bons écrivains sont ceux qui racontent une histoire, et pas celle de l'auteur. Lorsque les journalistes écrivent : " c'est un roman personnel, le personnage principal est un peu votre double " peu importe l'auteur, il est inévitable que le livre soit sans intérêt. Les hommes et les femmes qui ne peuvent créer un héros, qui font de leur histoire une autre histoire ne connaissent rien à la littérature. Raconter son histoire, dans une fiction, dénote un manque de courage et d'inspiration grandiose. Ils enchainent ces clichés  sur l'âme humaine, ponctuant ici et là leur récit de phrases bien tournées qui plaisent au lecteur. J'ai toujours écrit mon histoire, mes pensées, de manière plus ou moins fictionnelle. Désormais je n'ai plus d'histoire, je n'ai donc plus rien à raconter. Je me regarde vivre patiemment, parfois à attendre l'inévitable, parfois à redouter le changement.

 J'ai le sentiment d'avoir perdu, oublié quelque part ce bonheur de l'art, de vivre et d'écrire. Tout ça a disparu comme un mari qui part à la guerre: sans vraiment prévenir, en doutant d'un retour possible.

Je laisse tout le reste à la chance.

Je périrais comme je suis né
Des cendres à descendre.



Vendredi 8 janvier 2010 à 2:51

On s’occupe de tout

En trente ans de mariage Valérie a toujours su rester fidèle à Philippe. Elle a été une mère au foyer exemplaire qui a vu partir, l’un après l’autre, ses enfants. En bon mari, il s’est toujours préoccupé du bien-être de sa femme, de son bonheur. Leur couple a résisté à la monotonie, aux habitudes qui s’installent vicieusement année après année : les mêmes programmes télévisés chaque soir, les mêmes plaisanteries en dessous de la ceinture aux repas de famille, les mêmes cadeaux aux anniversaires.

Depuis longtemps, chaque dimanche après midi Philippe va dans la cave : il ferme la porte à clé et n’en sort que vers dix-neuf heures pour diner. Il lui sourit comme si de rien n’était, lui demande ce qu’elle a fait de sa journée, la complimente pour son repas. Il va dans le salon pour regarder la télévision avant de s’endormir devant et  ensuite de rejoindre sa femme au lit. Valérie ne sait rien de ce qu’il y fait, il lui est arrivé d’entrevoir rapidement les quelques marches derrière la porte avant d’entendre le bruit de la serrure. Un jour par semaine, il ne s’occupe plus d’elle, uniquement de tout ce qui se passe au sous-sol.

Philippe est assis face à son ordinateur, il inspecte les relevés de commandes faits pour son entreprise. Il est quatorze heures, il va prendre un café avec ses collègues, ils parlent du match de football d’hier. Philippe renverse son café en voulant éviter la plante synthétique posée à côté de la machine à café, il se baisse pour nettoyer ses chaussures et son pantalon puis fixe la moquette. Il remarque d’anciennes tâches de café autour de celle qu’il vient à peine de faire. Le poids des années l’assaillit.

Valérie a entre les mains la hache qu’elle a trouvée dans l’établi de son mari. Après quelques efforts, elle fait sauter la serrure. Elle pousse la porte du pied puis se retourne, hésite et craint ce qu’elle pourrait y trouver. Elle va chercher une bouteille de vin dans le frigo et s’en sert un verre. Assise sur le canapé, un verre de rouge dans une main, le téléphone dans l’autre, la hache allongée sur les coussins, Valérie compose le numéro d’un serrurier.
Dans le salon se trouvent des dizaines de bateaux en bouteille, sur les meubles, sur la télévision, sur la table basse. Dans la cuisine, accrochée avec celle de la voiture et celle de la porte d’entée, la clé de la cave. « Valérie » est inscrit sur la coque d’une frégate, la Belle-Poule, à l’échelle 1/240e. Le nom de son fils sur un cuirassé, La Gloire, et celui de sa fille sur un voilier, l’Ange. Le bris de verre, le fracas, c’est la rébellion d’une femme contre l’absence d’un homme, la disparition d’une vie à cause de celle d’une mémoire.

Philippe tousse un peu, sans la climatisation la chaleur devient vite insoutenable dans le bureau, il trouve l’air irrespirable. Une douleur sourde dans son bras gauche le tiraille, ses muscles se raidissent. Son patron l’appelle, lui demande si tout va bien avec sa femme, lui parle d’une possible augmentation. Il retourne à son bureau, s’arrête un instant pour regarder par la fenêtre, son souffle est court.

Elle regarde le vin qu’elle fait tourner dans son verre, on toque à la porte, elle cache la hache et balaye les débris de verre avec son pied pour les cacher sous le tapis, elle craint que ce ne soit Philippe qui rentre plus tôt du travail. Elle va ouvrir.

Les quelques navires voguent sur une mer disparue, qui nie sa propre existence. Le reflux des vagues rappelle parfois la voix d’un marin, l’odeur saline son parfum. Deux embarcations tentent de reconquérir une mer déchainée, enchainée, qui ne reconnait plus les coques pourtant sorties de son ventre. Les ressacs crient, hurlent et se débattent contre toute sorte de navires étrangers, ils luttent inlassablement pour leur liberté. Certaines nuits, la houle se calme et le vent marin qui souffle redonne vie à une frégate : la mer retrouve la mémoire, elle se souvient des bords de côte qu’elle a vu et des grands fonds marins ; elle retrouve ses enfants, son mari et son amour. Il n’existe plus que de vagues souvenirs, anéantis dans un océan perdu.

-    Je ne vois plus mes enfants, je ne reconnais plus mes parents, le temps les a tous mangés. Sur le béton s’écrivent des histoires sans fin ni souvenir. Ces corps qui s’attirent, qui s’attisent, sans savoir qui ils sont. Le soleil transperce leurs yeux, aveuglés par la chaleur ils aiment. Il n’y a pas d’acte plus grand, plus marquant, que d’aimer. S’aimer soi-même est bon pour les rois et les mauvais poètes ; ressentir pour son adversaire de toujours, chérir dans l’adversité comme dans la haine, consoler dans la maladie comme dans le mensonge est le travail d’un dieu. Faire disparaitre toute croyance, toute idée, toute situation pour laisser s’épanouir l’a-vie.  Eprouver chaque passion.

J’étais une excellente navigatrice, je possédais un bateau à mon nom, il était écrit sur la coque. Quelques matelots racontaient qu’une femme à bord portait malheur, mais j’ai toujours su dompter les plus grandes vagues et survivre aux plus hauts rouleaux. J’ai vécu de merveilleuses aventures, mais je ne me suis jamais marié. La vie de famille est incompatible avec celle d’aventurière. J’ai navigué sur plusieurs bateaux, d’ailleurs, il y en a un qui portait votre nom jeune homme, La Gloire qu’on l’appelait, et le votre aussi jeune fille, c’était l’Ange. C’est une drôle de coïncidence vous ne trouvez pas ? Après mon accident je suis arrivée ici, je ne me souviens plus de grand-chose, si ce n’est que la mer était révoltée, que les mats ont volé en éclats, en éclats de verre.

Dans la chambre de Valérie, en face du lit, au-dessus de la télévision trône une frégate dans sa bouteille. Ses enfants lui ont rapporté de la maison, espérant faire remonter à la surface un souvenir, rien qu’une bribe, un mot ou même un regard. Tout a été détruit dans la tempête, pourtant chaque matin à son réveil elle s’en empare et la scrute intimement. Elle cherche sur le pont ses anciens matelots, voit sur la coque les éraflures qu’a laissé le temps. Elle entoure le verre froid de ses mains, ses doigts crispés tremblent et une larme perle sur sa joue sans même qu’elle ne sache pourquoi. Son cœur se serre, son corps souffre, se brise inlassablement comme une vague sur des rochers : rien ne l’arrête et elle revient en oubliant un instant après son échec face à la pierre. Les médicaments ne peuvent arrêter la douleur d’une vie manquante à son esprit. Chaque matin le même rituel et les mêmes pleurs ne ravivent pas une mémoire qui a sombré, coulé dans un abysse.

Valérie ne se voit plus, sans souvenir tous ces instants, toutes ces années deviennent celles de ceux qui lui ont survécu. Elle n’existe plus que dans la mémoire des autres, elle qui n’en a plus, elle qui en a une autre. Valérie demande souvent à ce qu’on l’assoie devant la baie vitrée face au lac. Quelques ondes se forment au passage des poissons, le vent souffle contre le verre de la fenêtre et fait remuer doucement les arbres. Elle sourit. Elle rêve de partir à l’abordage, de la respiration de l’eau sur son visage, de sauter du pont et de nager.

De temps en temps des personnes viennent la voir, elle n’aime pas la compagnie, alors elle se mure dans un silence interminable jusqu’à leur départ. Ils semblent vouloir obtenir quelque chose d’elle, un trésor qu’elle aurait enfouit et dont elle aurait oublié l’existence. Ancré sur sa chaise, le regard vide elle dit quelques mots, après une heure tout le monde s’en va, en pleurant ou non. Elle ne comprend pas, cela la frustre, par conséquent elle refuse parfois des visites. Les journées passent sans qu’elle ne s’en rende réellement compte.

Quelqu’un semble avoir oublié son album de photographies dans sa chambre, avec curiosité elle le feuillette et sourit en voyant ces multiples portraits de familles, elle en vient à regretter son passé solitaire, ses amours passagers. Le mari est un bel homme qui lui aurait sûrement plu et qu’elle aurait pu charmer en un sourire.  Page après page, les enfants grandissent et les parents vieillissent, au détour de quelques bords de plage qui lui sont vaguement familiers des photos de vacances. Le temps a amoindrit les corps, éveillé les âmes, toujours enlacé ce couple d’inconnus lui donne envie de tomber amoureuse.

Il manque 400 mots.
Au diable.

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