Vendredi 9 septembre 2011 à 10:01

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L'âge, et par extension la vieillesse, sont à un moment donné appréciés car ils servent d'excuse. Comme l'essence d'une incapacité, rien ne peut contredire la fatigue que le poids des années a fait s'accumuler. Le rejet de la jeune génération est inévitable, sinon il serait impossible de les utiliser comme raisons. Être âgé, c'est d'abord s'assumer ainsi, avant d'en abuser comme explication à la moindre contrariété. L'âge n'est pas relatif, il est l'indicateur peu précis du temps qu'il nous reste à vivre, et à aimer.

Ma jeunesse n'a pas été caractérisée par une multitude d'excès, bien que certains le jugent ainsi. Je n'ai que rarement mis ma vie en jeu, j'ai tout au plus profité de plaisirs dangereux. Tout le reste n'a été que la réponse à mon adolescence, à ma prise d'indépendance. Des passe-temps, voire quelques distractions.
Toutefois, je dois reconnaitre un mal qui m'a suivit toute ma vie, et qui peut être largement considéré comme la cause de mes souffrances à mon âge avancé. Je n'ai jamais su dormir, me reposer. Les bras d'un homme ont seulement su me réconforter, mais jamais m'apporter la tendresse du sommeil. Peu importe les lieux, les heures et les journées, je n'ai jamais été aussi fatiguée qu'à mon réveil. En soixante ans, j'ai l'impression de n'avoir jamais dormi. Ma lune de miel, je l'ai passée au balcon de notre chambre, à fumer des cigarettes en lisant " Le Banquet."
Ces nuits ont souvent été pour moi de longs moments de solitude. Personne n'a jamais su m'accompagner, et j'en profitais parfois pour pleurer sur les quelques tristesses, et les mauvais souvenirs que je n'avais pas encore oubliés. Au fond du lit ou du jardin, devant la télévision ou un livre, sous la douche ou la nuit. Je n'ai jamais trop su quoi faire pour m'occuper, alors je vivais deux vies, j'avais deux cœurs, et un seul amour.
Cette nuit là, K. s'est levé et m'a rejoint sur le balcon. Je me sentais coupable de ne pas être restée au lit pour notre nuit de noces. J'aurais aimé ne jamais avoir à lui faire cette peine. Pourtant, il ne m'a rien dit, il a juste admiré la vue, accoudé à la rambarde. Il a regardé un instant mon livre, pour en voir le titre, puis est repartit. J'ai toujours voulu lui offrir le meilleur de moi-même, mais je n'ai jamais su contrôler mes nuits.
Il m'arrivait aussi de ne pas dormir, de rester éveillée plusieurs jours, jusqu'à ce que je m'effondre, en pleurs, puis que je me force à dormir. Je n'ai jamais su non plus, mettre à profit tout ce temps ; je l'ai perdu sur internet, devant des films, des histoires. Ce rythme a duré jusqu'à mes trente ans environ, puis le travail, les responsabilités m'ont forcé à retrouver une bonne hygiène de vie. Quand notre premier enfant pleurait la nuit, j'étais la seule à y aller, car j'étais toujours éveillée. Plus tard j'ai pris des somnifères, et toutes ces nuits blanches ont disparues.
K. n'est pas retourné se coucher, il est revenu avec quelques feuilles griffonnées. Je savais pertinemment ce que c'était. Pendant nos premières années, K. est partit à l'étranger pendant une année. Il m'a avoué un jour, avoir écrit un texte, lui qui a toujours détesté la littérature et l'art en général. Il avait toujours refusé de me le lire, de m'en parler, mais son aveu m'a permis de mieux comprendre sa soudaine sensibilité aux textes.  

Tout cela commençait, à peu près comme ça:

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Je suis partis il y a un mois, peut être deux, et j'ai l'impression de ne pas avoir vu ton visage depuis un millénaire. J'en ai oublié les traits, les limites, l'inexactitude. Je me souviens de ton odeur, de ta peau, comme si elle était la mienne et que je possédais aujourd'hui un autre corps.

Je ne sais pas pourquoi j'écris ce texte.

Ici, les femmes sont caractérisées par cette absence, ce vide. Incomplètes, et incapables de se combler. A toutes, un monceau d'être fait défaut, pas seulement une parcelle, mais un monceau.
Une dimension s'est effacée du monde, il n'est plus semblable à celui que je côtoyais.
Les sons sont indissociables.
Les couleurs ont laissé place au

Le visage des jours n'est pas tel que je l'espérais. J'y voyais des étoiles, rayonner, mais des lanternes. Je m'imaginais les ténèbres, tandis que je vivais en pleine lumière. Peut être trop aveuglé, peut être trop réchauffé.

Le nouveau monde a ses senteurs, a ses frayeurs.
Je n'en ressens que la froideur,
Un gel du vivant, la gerçure du cœur.

Il n'en reste que ma chaleur.

Parfois, j'ai des regrets, concernant mon départ, concernant mes regrets. Chez toutes ces femmes, il ne manque rien de visible, la beauté ou l'intelligence, la douceur ou la féminité. Chacune de ses femmes est ton absence, chacun de leurs mots ne sont pas les tiens, chacun de leurs gestes. Bien plus que celle que j'aime, tu es la présence des choses, ce qui anime, le vivant dans l'être.

"

Ce soir là, je suis allée dormir dans ses bras.

"


Aller à Toire,
N'est pas à Zare.

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