Dimanche 29 juin 2008 à 4:46



Je sais que vous dormez, mais pas moi. On ne change pas les bonnes vieilles habitudes. Je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour ne plus jamais avoir besoin de dormir. C'est un don du ciel, ceux qui peuvent ne dormir que très peu, c'est un don du ciel, pour qu'ils puissent accomplir un tas de choses. Alors je force ce don, pour qu'il me vienne.

L'espace d'un instant je suis le roi du monde.

C'est difficile de se rendre compte de notre addiction, de notre dépendance, de nos actions mécaniques, bonnes ou mauvaises, mais tellement répétitives et fréquentes que dans les deux cas elles en viennent à nous sembler plus que normales, non pas vitales, mais essentielles.

Après le Petit Homme, après Madame, et après le Géant de la Tour, je vous présente quelqu'un d'autre.

Tu es l'actrice de ta vie, tous les matins, tu joues. Non pas un rôle, tu es bien toi. Tu ne mens pas sur ta personnalité, sur rien. Tu es franche, mais tu joues un rôle, parce que tu joues une pièce. Tous les matins, tu effectues les mêmes actions, vitales, tu te lèves te laves te nourris; mais toutes les nuits aussi, tu es cette actrice. Tout ce répète pour toi. La même heure le même lieu le même corps ; le temps le lieu la cause le but, pourtant ce n'est pas la même ville, ce n'est pas la même personne, et il est plus tard que jamais. Existe t-il pourtant une vraie différence avec le reste? C'est toi qui décide. Tu marches sur la même moquette, ou le même carrelage que les autres fois, et tu passes dans le même couloir ou la même cuisine que les autres fois, et tu franchis la même porte ou presque que les autres fois. La poignée est certes différente, ronde carrée ou octogonale, en plastique en fer doré ou en argent, la porte rouge verte bleue avec des posters, en bois en verre avec ou sans cadre. C'est toujours la même porte, car elle mène toujours au même endroit pour faire la même chose avec les mêmes gens. Puis tu t'allonges sur le même lit ou sur le même sol, qu'importe, c'est du pareil au même. Les draps ou la moquette sont toujours plus ou moins doux, puis c'est toujours la même scène; qui se répète inlassablement et sans fin: tu ne fais rien, et tout arrive de la même manière ; tu ne fais rien et tout arrive de toutes manières.

Alors vient le froid. Comme le froid du matin que tu ressens sur ton visage quand tu sors de chez toi pour aller prendre ton bus jaune qui t'amène dans ta belle école privée qui coute chère à tes parents, qui eux, tous bons qu'ils sont, pensent que là-bas on t'apprends la vie, on t'apprends à vivre, alors qu'on t'apprends seulement à arrondir les coins pour que tu rentres mieux dans un bel endroit douillet et heureux qui s'appellent allègrement Le Moule. Tous les matins, le même trajet, le même bus, les mêmes gens, les mêmes mots, les mêmes idées, les mêmes phrases, les mêmes baisers, les mêmes déceptions, les mêmes souffles d'ennui. Comme tous ces matins, où il fait froid, dans des draps blancs, de grands draps blancs où les amoureux se perdent dedans. Ils courent les yeux ouverts et s'amusent, ils s'embrassent alors dans de grands draps blancs et doux qui caressent leur peau. C'est ce que tu as vu dans la pub. Toi, le matin, ce ne sont pas les draps de la pub qui t'enveloppent. Des draps froids, froids d'une absence, l'absence d'un corps, d'un esprit, d'une idée, et d'un souvenir. C'est la même scène qui se joue, tu répètes ta pièce. La mise en scène diffère, donc les décors changent, les acteurs aussi, mais au fond, ce sont les mêmes répliques, les mêmes mimiques, les mêmes gestes. Des acteurs différents ou non, on ne réinvente pas le rôle de l'Homme dans ta pièce, tu le connais par coeur. La pièce ne pourra jamais s'arrêter, car tu es l'actrice principale, celle pour qui les autres acteurs viennent jouer. Tu répètes alors les mêmes répliques, les mêmes scènes tous les jours, tous les matins. Tous les matins pourtant tu oublies ton texte, tu oublies la scène que tu as joué il y a seulement quelques heures, tu accuses les autres, mais rien y fait, tu ne sais rien. Tu ne sais rien. Tu ne sais rien et tu penses que c'est tant mieux. Tout a disparu dans les draps qui sont désormais tâchés, qui sont désormais brulés, par le péché de chaque nuit, de chaque soir, de chaque fois, de chaque temps, de chaque temps, de chaque fois. Pourquoi?

Si seulement tu savais pourquoi. Car pour tous :

Tu es le sel de la Terre, et le bleu du ciel. L'enfant unique et multiple, prodigue. De toi vient l'espoir, l'espérance, la confiance, la liberté, et le futur. Tu es les rêves des femmes d'âge mûr, et celui des hommes lubriques, en toi réside la beauté, l'avenir, le désir, et le passé refoulé. Le monde te voit tous les jours te lever, te laver, manger, partir, sortir, jouir, dans les rues et les maisons aux alentours. Tu peuples chaque infante, petite fille, fille, ado, femmes, vieilles, du monde entier. On te trouve dans leur corps et dans leur tête. Tu te trouves dans leur peau et dans leur cerveau, et tu ne les quittes jamais.

Tu portes tes grandes robes à fleurs qui s'appellent: la première fois naïveté, la seconde faux-espoir, la troisième faiblesse, la cinquième alcool, la douzième tristesse, la septième amour. La treizième, la quatorzième, la quinzième, la seizième, et toutes celles que tu as oubliées. Tu les portes, à tour de rôle, suivant les nuits, suivant les envies, tu aimes te parer d'elles comme d'excuses. Parfois tu portes l'oubli, il est seyant, il serre un peu et ne tient pas très chaud, mais il te va si bien. Il est beau même s'il ne ressemble à rien. Parfois tu accuses une autre robe, la cinquième, la douzième, toutes à la fois! Et on te croit. Vilaines robes, vilaines. Pourtant, ces robes tu ne les portes que le soir, qu'au regard d'inconnus, et jamais devant toi même ou ta famille. Personne ne te voit porter tes belles robes de soirées, qui brillent et te transforment en princesse passé minuit. Tu es belle, et tu tournes sur toi même jusqu'à tomber, la tête qui tourne, le corps qui tourne. Tu te sens faible, la robe te sert un peu, alors tu l'enlèves, mais tu la remettras demain, c'est sur. Tes souliers rouges scintillent, ils ont de petits diamants qui font de la lumière sur les murs. Tes grands yeux bleus, noirs, verts, regardent les murs. Tu ne sais pas encore où tu es. Peut être que tu ne le sauras jamais. Tu ne sais plus quoi penser, alors tu préfères t'arrêter. Oh oui Petite Fille tu as grandit, oh oui Petite fille les poupées sont jolies. Tu n'es pas une poupée pourtant, tu ne dois pas l'être, tu ne dois pas te transformer en poupée de cire Petite Fille, car papa maman croient en toi comme les athées croient en Dieu: par nécessité, par besoin de croire dans un espoir salvateur qui nous sauvera du mal, de la solitude, des repas findus pour célibataire, et de la branlette devant la télé. "Apprends moi Madame à ne pas être une poupée" mais tu sais bien Petite fille, que Madame veut que tu sois toi aussi Madame, et Madame, elle aussi, à été une poupée, donc tu en seras une de même. Madame rêve de te voir réussir, grandir, passer et dépasser les autres. Devenir une grande femme. Tout ce qu'elle fait te transforme pourtant en Madame. Madame ne pense pas à toi, elle pense à la future toi, et elle oublie que tu as un passé, et surtout un présent.

Petite fille, Petite Fille regarde moi
Petite fille ne pleure pas, cette fois.
Le soleil se lève sur de grands draps blancs
Ce sont les nôtres pas ceux du vent.

Tu t'es couchée sous mon corps
Et réveillée à l'aurore
Sous les draps, dans mes bras
Je ne partirais pas cette fois.

Car tu es venue sans porter de robe à fleurs
Tu étais vêtue d'un sourire et de peur
Mes draps portent ta trace
Mais auprès de moi il y a de la place.

Tu as vu tous les plafonds du monde, tu sais que la terre est ronde. Mais tous les plafonds du monde, ne t'ont pas fait voir que la Terre s'effondre.

Pourtant tu reporteras tes robes
D'autres nuits, d'autres opprobres.
Petite fille tu l'es dans les esprits
Des mes bras, dans mon lit.

Petite Fille un jour tu grandiras, et tu deviendras Madame ou tu ne deviendras pas. Tu auras mis fin à tes jours en serrant trop fort une robe, et en déchirant la septième. Involontairement, tu as essayé de superposer différentes robes, et ça l'a totalement abîmée, et toi avec. Ca t'a fait mal, tu as souffert, c'est ta faute aussi. Alors lorsque tu seras Madame, et que tu connaitras le géant de la Tour, tu te souviendras du temps où tu étais Petite Fille, et tu le regretteras, car être Madame change bien de porter des robes. Tu lègues les robes pour le tablier. Le tablier blanc et bleu que ton pantin t'a offert, n'est-il pas beau et seyant? Il te va à merveilles. Je te salue Petite Fille, comme tu salues les années passées une fois Madame. Je te salues Petite Fille, comme tu salues les corps qui partent le matin. Je te salues Petite Fille, pleine de grâce. Pupille des nations.

La suite s'écrira sur tes mains sur tes doigts
La suite s'écrira ou ne s'écrira pas.
Tu aurais pu l'écrire à deux
Mais à un il vaut mieux.

Petite fille future Madame
Je te salue bien bas
Je vous présente mon âme
Faites en bon usage cette fois.

Attention à ne rien froisser
De vos doigts ensanglantés.
Attention à ne pas tâcher
Par vos gestes oubliés.

Voilà la robe déchirée
Tu l'auras bien méritée.
Celle qui avait couté si cher
A ton corps, à ton cœur de fer.

Avec toi je suis au plus bas
Je ne vois rien de là
Mis à part tes pieds
Que tu me demandes d'embrasser.

Serre moi dans tes bras
Raconte moi tout bas
Les histoires passées
Les contes de fées.

Petite Fille réveille toi
Il est l'heure d'aller travailler
Je ne le ferais pas pour toi
Tu es Madame désormais.

Tu ne te réveilles plus dans les mêmes draps
Ceux là sont à toi pour une fois
Tu les reconnais très bien
Ceux sont ceux de ton pantin.

Voilà vingt deux ans que tu es là
Couchée dans ses blancs draps
Il t'a fallu cligner des yeux
Pour gagner vingt deux.

Le temps est gris aujourd'hui
Ne trouves tu pas Petite Fille
Demain ce sera aujourd'hui
Il fera gris tu le sais Petite Fille.

Je t'embrasse sur le front
Tu fermes les yeux pour de bon
Voilà pourtant ton tablier
Tout ça pour finalement me quitter.

La septième robe reste déchirée
Jamais tu ne voudras la recoudre
La septième robe tu l'as oubliée
Comme un coup de foudre.

Je ne pourrais plus t'embrasser
Plus jamais.
Je ne pourrais plus te regarder.
Plus jamais.

Quand sur toi pèsera le temps et l'avenir, quand sur toi s'accumuleront les robes que crée le temps.

je t'aime Petite Fille.

Du pareil au même.
Du pareil au même.
"

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