Dimanche 16 août 2009 à 16:46



Il me faut toujours un certain temps pour comprendre certaines choses. J'ai une sale tendance à me renfermer sur moi-même, à ne parler qu'à moi-même, à ne jamais exprimer mes pensées les plus absurdes et à me restreindre quand on ne me demande que de me libérer.
C'est cela être un homme, et les espoirs qu'ils placent dans les femmes sont tous les mêmes.

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Je ne sais pas raconter les histoires, vous le savez bien. Je ne suis pas quelqu'un qui aime ou qui sache conter sa vie, faire d'une chose insignifiante une fresque romanesque. Je ne sais dire les choses que telles qu'elles sont, avec une clarté et une franchise qui me sont souvent reprochées. Je ne manque pas de tact, je n'en ai tout simplement pas. Les évènements ne sont pas pérennes, il me faut les revivre pour les retranscrire avec un minimum de perfection.

Je ne sais pas par où commencer, c'était il y a longtemps, bien avant de vous rencontrer, il m'est arrivé de côtoyer d'autres femmes. Je les aimais comme un enfant, sage et distrait, donnant tout en ne prenant rien, capricieux et volubile. Je m'attachais à elles en craignant toujours cette fin prématurée où elle et moi, d'un commun accord forcé, nous nous séparerions. Je vivais heureux, bercé par les endorphines, les yeux encore embués de plaisir la tête pleine de projets. J'ai demandé en mariage des dizaines de femmes, et aucune n'a jamais refusé, mais les jours passant, ma demande s'amoindrissait à mesure que mon amour s'effilait entre leurs doigts.

Je ne sais pas quel jour, ni quel mois, si ce fût brusque, ou simplement latent, comme si j'avais recouvré la mémoire ou si j'avais enfin compris ce qui depuis si longtemps me paraissait inacceptable et inaccessible. Je voyais cet homme, et je pensais à celle que j'aimais à cet instant. Je l'écoutais parler, dire des énormités, je le voyais agir comme un homme, brusque et soudain, violent et se complaisant du terrestre, et d'ailleurs dangereux. Je le voyais, et je m'observais à travers ses yeux, j'avais sa vue embrouillée par l'alcool, mais j'étais encore capable de me discerner dans son marasme d'idées sans suite.

Je ne sais pas ce que j'ai d'abord ressentit, sûrement de la honte, puis de la pitié, une grande pitié sans limite, en m'observant. Je n'étais qu'un être frêle, qu'une femme dans un corps d'homme, qu'un intellectuel de seconde zone. Même à travers ses yeux, je voyais que tout mon être n'était pas à sa hauteur, que dans notre société, je valais mieux que cet homme, que ce cobaye de l'existence qui souffrait jour et nuit. Pourtant je voyais bien d'autres souffrances, je n'étais rien ni personne, dans ce monde d'affiliations, de relations, je m'isolais et me cloitrais en moi-même pour mon plus grand plaisir. Ce regard hébété, embrumé par tant de substances illicites me révélait mes faiblesses, mes incapacités, celles que je ne pourrais jamais changer même en un millénaire. Dans ces iris, je n'étais plus apte, plus capable de continuer ainsi, à me mentir, et à me voir au-dessus alors que je n'étais qu'à côté du reste du monde. 

Je ne sais pas comment m'est venue cette idée, ma compagne actuelle, m'a traversée l'esprit, et j'ai ressentis un froid glacial, de ceux qui s'apparentent bien plus à une vérité insupportable à entendre qu'à un mauvais pressentiment. J'avais perdu cette femme dans les bras de cet homme, mon esprit l'avait fait apparaitre près de lui, comme une amante de toujours. Je les voyais s'entendre, s'aimer, simplement, bien plus simplement qu'avec tout ce que j'avais à lui offrir. Je n'ai pas souffert de son départ, juste de ses raisons. Elles étaient toutes indéniables, toutes plus claires les unes que les autres. Quand bien même elle ne serait pas partie, je l'aurais forcée par différents moyens. Mon esprit venait de me faire ressentir la douleur d'une rupture qui n'avait pas encore eu lieu.

Je ne sais plus à quel moment je suis sortis de cette torpeur, où je suis resté bien trop longtemps. Je voyais s'ériger devant moi l'homme, au sens primaire du terme, celui qui ne vit que pour survivre. Il s'élevait tout en s'enfonçant dans des discours incompréhensibles motivés par l'alcool. Je n'avais pas seulement réalisé que je n'étais plus rien, que j'avais tout perdu, mais la femme que j'aimais avec qui pendant tant d'années j'avais fomenté des projets d'avenir des plus sérieux et que je souhaitais voir se réaliser , ne m'aimerait jamais. Je n'étais pas un homme, et pour me consoler je pensais : je n'étais pas un homme pour elle.

Je ne sais pas ce qu'est devenu cet homme, à l'heure actuelle il doit être mort, ou dans l'état exact dans lequel je l'ai laissé il y a vingt ans. Je comprenais mes sentiments pour cette femme, je l'admirais, l'appréciais, pour tout ce qu'elle représentait pour moi. Tant de temps à jouir d'un présent serein et à bâtir un futur à deux, cependant mon coeur s'était endolori d'une vérité inavouable et inévitable. Elle pouvait me lasser de ses "je t'aime" de ses caresses et de son manque en mon absence, au fond, comme l'ombre des mots, se peignait une vérité que tôt ou tard, nous devrions affronter ensemble, et ce malgré toutes les conséquences que cela pouvait engendrer.

Je savais très bien une chose, c'est qu'elle refuserait catégoriquement tout ce que je pourrais lui dire, tout ce que j'avais pu ressentir. Elle n'oserait jamais reconnaitre un fait auquel elle n'a participé que dans ma tête. Elle aimait cet homme, lui ou tous les autres, tous ceux que je n'étais pas, tous ceux qui ne me ressemblait pas. J'étais gentil, plein d'affection et d'attentions, mais le reste n'était pour elle qu'un surplus qu'elle aurait préféré voir remplacé par cette masculinité, cette prise immédiate d'initiative, cette violence qui caractérise toutes les vies sauf la mienne. Je n'avais rien à lui offrir, et une fois les endorphines des premières années dissipées, elle verrait enfin qu'elle n'aimait pas un homme, mais un chien errant. Un chien sans autre maitre que l'absence, un chien qui court toute la nuit à la recherche d'un endroit où dormir sans être près de son ombre, un chien qui fuit, un chien sans âme.

     La vision de moi-même que j'ai eu cette nuit là n'a pas été une chute de très haut, toutes ces choses je les connaissais depuis assez d'années pour ne plus m'en lamenter. Tel l'ancien alcoolique qui certains soirs rechute et boit son dernier verre, tel la jeune adolescente difficilement fidèle qui se laisse porter, il y a des nuits où notre incapacité reprend le dessus et où il est impossible d'y échapper ; j'avais même arrêté de me trouver des excuses pour expliquer mes rechutes momentanées, je les acceptais comme des instants de lucidité. Mon insomnie provenait de ce que j'avais vu du futur, l'incompatibilité entre moi et son amour. Elle ne m'aimerait jamais assez, et cette prise de conscience fût pleine lorsque je compris que je ne pouvais m'en prendre qu'à moi-même.

     Je ressens toujours cette compassion pour ces personnes qui luttent certaines nuits contre elles-mêmes, sans jamais lâcher prise, mais qui finalement échouent. Perdre une bataille ce n'est pas perdre la guerre, ils continueront inlassablement à croire que tout est possible, qu'un changement adviendra. D'autres se voilent la face et refusent catégoriquement d'accepter, de concéder à leur âme cette faiblesse qu'ils se cachent par tous les moyens, pourtant ils continuent d'y céder. Je comprends le désarroi qu'ils ressentent lorsqu'une force supérieur à eux les condamne à user de cette faiblesse, cette force insatiable qui perdure à l'infini car elle est leur part d'humanité.

- Vous racontez de bien tristes histoires.

"

A n'a plus de phone.

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